MATTHEW HERBERT
Un parcours étonnant
Matthew Herbert, 29 ans, musicien et producteur reconnu,
est un leader dans la musique électronique. Connu
pour repousser les frontières et casser les conventions
traditionnellement associées au genre, il est lun
des rares francs-tireurs à avoir un impact considérable
sur les médias et le public tout en travaillant à
toujours plus dinnovation expérimentale. En
matière de disques, il a depuis 1996 enregistré
différentes musiques sous différents noms
parmi lesquels Herbert, Doctor Rockit, Whismountain et Radio
Boy. Il sest par ailleurs produit sur scène
aux Etats-Unis, Japon, Australie, Asie ainsi quun
peu partout en Europe (notamment au festival Sonar de Barcelone,
au Londons South Bank et au festival de Montreux).
En 2002, il a également été invité
à donner des performances live au Festival Jazz de
Montréal, au Centre Pompidou à Paris et à
lOpéra de Sydney.
Herbert commence sa recherche sur la relation entre musique
et théâtre à lUniversité
dExeter dans les années 90. Cest là
quil échantillonne son environnement immédiat
dans le but de créer un lien direct entre ce que
le public voit et ce quil entend. Cette expérience
lencourage à écrire de la musique pour
le cinéma, le théâtre et la télévision.
Pour le cinéma, ces dernières années,
citons Human Traffic de Justin Kerrigan, Paradisiac de Don
Cameron, Daybreak de Bernard Rudden, Nailing Vienna de Jonathan
English, The Intended de Kristian Leavin, et Le Défi,
comédie musicale de Blanca Li pour laquelle il enregistre
avec un orchestre de 16 jazzmen au Air Studio de Londres.
La musique de Human Traffic a valu à son auteur et
co-auteur Robert Ali dêtre nominés pour
un Welsh Bafta de la meilleure musique de film.
En marge de ses musiques pour des productions théâtrales
comme Dangerous Corner actuellement à laffiche
dans le West End de Londres, Matthew a écrit et enregistré
des musiques originales pour les génériques
de Sci-Fi Channel, The South Bank Show de ITV et Dispatches
sur Channel 4.
Des commandes spéciales lui ont été
également passées pour des défilés
de mode, notamment pour Yves Saint Laurent, Erik Halley,
Laurent Mercier, Gaspard Yurkievich. Hormis huit albums
écrits, interprétés et produits par
ses soins, Matthew Herbert a également contribué
à la production du dernier opus de Bjork, Vespertine,
et remixé des artistes aussi divers que Moloko, R.E.M.,
Perry Farrell (Janes Addiction), Serge Gainsbourg,
Zero 7, The Avalanches et Cornelius. Il a également
été invité à écrire des
albums de musique tant jazz que classique ainsi quà
travailler sur une large gamme de musiques allant des chanteurs
pop Japonais à Debussy.
Radioboy
En 1997, Matthew Herbert commence à composer sous
le nom de Radioboy, et met au point un projet qui consiste
à travailler uniquement sur le modèle de la
musique concrète, à savoir créer une
musique basée sur des samples (sons numérisés)
enregistrés à partir dobjets «
communs ». Il sort plusieurs albums tels que «
Around the House », littéralement « Dans
la Maison », sur lequel tous les morceaux ont pour
source sonore des bruits enregistrés dans son propre
appartement (bruits de vaiselle, de douche
).
La découverte de ce type de musique, alors quil
avait pour habitude de ne composer quà base
de samples instrumentaux, correspond à un véritable
tournant dans sa carrière : il décide alors
de faire « feu de tout bois », de considérer
tous les objets existant dans une visée technique,
à savoir de les improviser source sonore, quitte
à devoir inventer la technologie qui permette de
les utiliser ainsi. Pour Herbert, cela relève réellement
dune nouvelle liberté dexpression «
qui nous sorte du 19ème siècle » qui
donnait de la musique une idée « classique,
avec un orchestre, une structure, un ensemble de techniques
définies, des écoles soigneusement établies
».
Cest quelques mois plus tard quHerbert réalise
que le choix des objets comme source sonore peut relever
du processus politique, en tant que technique créative
: celui-ci, même sans lexprimer nécessairement
par sa musique, a toujours eu en lui une certaine fibre
politique, et sest toujours montré très
anti-capitaliste et anti-mondialiste ; cest contre
ces courants quil va manifester son mécontentement,
dans lalbum « The Mechanics Of Destruction »,
littéralement « Les Mécaniques de la
Destruction ». Selon lui, il est nécessaire
dagir concrètement, que ce soit par le biais
des manifestations ou par celui de lart (quil
soit plastique comme celui de Joseph Beuys, lyrique comme
celui de Noir Desir ou musical comme le sien), contre laction
de ces multinationales qui réduisent lhomme
à létat d « animal achetant
», le poussant sempiternellement à la consommation
par la publicité. Laction, selon Herbert, est
plus importante et surtout influente que les simples idées
passives ou principes tels que le boycott qui, bien que
permettant dexprimer démocratiquement ses opinions
en décidant par exemple de ne pas se rendre au Mac
Donalds, sont succeptibles dau contraire motiver
davantage cette multinationale qui pourrait penser que si
certaines personnes ne consomment pas leurs produits, ce
nest dû quà un manque ou à
une mauvaise qualité de publicité pour ceux-ci.
Le fait quHerbert ou que des artistes menant le même
combat montrent leur mécontentement à légard
de cette société de consommation est tout
à fait succeptible de changer létat
des choses ou, tout du moins, de démocratiser une
nouvelle vision de celles-ci, ainsi une volonté générale
dattaquer à plus grande échelle les
politiques économiques des multinationales, même
si une telle démarche ne pourra probablement jamais
acquerir suffisement denvergure pour faire changer
les mentalités.
Les mécaniques de la destruction
Le principe de la musique concrète, réactualisé
voire réinventé par lartiste éléctro
Herbert dans cet album, lui a permis dexprimer dune
façon tout à fait originale ses opinions anti-mondialistes.
Mais techniquement, comment fut-ce possible ?
Adepte du sampling dans la majorité de ses compositions,
Matthew Herbert, pour « The Mechanics of Destruction
», a fait le choix de sampler le bruit de la destruction
des produits des multinationales, de les détourner
en vue de créer de la musique : un menu « big
mac » de Mac Donalds, un paire de basket Nike, un
téléviseur Phillips, un café Starbucks,
un caleçon Gap : les différents sons enregistrés
progressivement lors de la destruction manuelle de ces objets
(vider puis écraser une canette de Coca-Cola, disséquer
un Hamburger, piétiner une boîte de CD, casser
un téléviseur) sont successivement enregistrés,
numérisés (samplés), puis replacés
dans un rythme défini de techno. A un premier extrait
de son en succède un second, puis un troisième,
jusquà ce que le morceau se créée
de lui-même, tout en conservant une logique, un rythme
et un structure particulière : ainsi, un même
morceau joué à plusieurs reprises (lors dun
concert par exemple) sera toujours différent au niveau
du son, mais conservera ces trois aspects.
Les sons ne sont donc pas reproduits, comme pouvait le faire
le groupe Kraftwerk dans les années 75 (un de leur
morceau, Autobahn, consiste à imiter à laide
de sythétiseurs le bruit dune autoroute), mais
bien empruntés et transformés par lartiste
qui créée une musique pure et nouvelle en
partant dun seul objet sonore, avec la seule laide
dun micro et dun ordinateur.
et un projet de reconstruction
Quand certains artistes se contentent de décrire
ou de critiquer une situation politique particulière
quils considèrement comme blâmable ou
méprisable, Matthew Herbert propose, à son
échelle, des solutions, qui même si elles restent
tout à fait idylliques, ont le mérite davoir
été proposées : il prépare en
effet un album qui constituera la suite logique de «
The Mechanics of Destruction » et qui sintutulera
« The Mechanics of Reconstruction » (littéralement
Les Mécaniques de la Reconstruction) dans lequel
il « suggèrera des solutions, basées
sur lutopie dune communauté planétaire
responsable et consciente, possible grâce à
linternet et qui aquerrait suffisement de poids politique
et économique pour faire la balance avec les gouvernements
traditionnels ».
Matthew Herbert, qui reste dans le concret fidèle
à ses engagements politiques, a autoproduit cet album,
quil distribue gratuitement et dont il interdit formellement
la vente : on peut ainsi le télécharger sur
son site internet (http://themechanicsofdestruction.org)
ou, et cest ce qui est le plus interessant, le demander
par courrier à Matthew Herbert personnellement, en
lui envoyant en échange (même si cela nest
pas obligatoire) des idées, des samples, des dessins
susceptibles de faire avancer son combat, de manière
à faire circuler cette musique et ces idées
dans un but non mercantile mais plutôt humain, communautaire,
et par cela de créer une société annexe
qui serait basée sur léchange et leffort
de lautre. Cependant, à ce jour, il ne circule
quà peine un millier dalbum, ce qui est
très peu par rapport aux chiffres que promettent
à leurs artistes des multinationales comme Universal.
Cliquez ici pour écouter
un extrait de The Mechanics of Destruction [pour cet
extrait, Matthew Herbert a samplé le bruit du déchirement
d'un vêtement de marque Gap].